Les bancs remarquables de l’église Notre-Dame-de-l'Assomption

Des reliques d’un ordre ancien

Au cœur de l’église Notre-Dame de l’Assomption, deux bancs anciens trônent dans le bas-côté sud. S'ils ne sont plus utilisés depuis longtemps, leur simple présence raconte toute une page de l’histoire religieuse et sociale de Taverny.

L’un, sobre mais chargé de sens, accueillait autrefois les membres du Conseil de Fabrique, des laïcs investis dans la vie de la paroisse. L’autre, plus imposant, orné d’armoiries et de symboles, était réservé à la noblesse locale. Ces deux bancs incarnent, chacun à leur manière, une époque révolue où chaque place dans l’église exprimait un rôle, une fonction, une hiérarchie. Aujourd’hui, ils sont devenus de véritables témoins du passé, porteurs de détails sculptés, parfois mystérieux. Pourquoi deux têtes de loups dos à dos ? Que signifient les animaux ailés gravés dans le bois ?

Ces bancs ne livrent pas tous leurs secrets d’un seul regard - mais en les observant de plus près, c’est tout un pan de l’histoire de l’église de Taverny qui se révèle.

Le banc d’œuvre : siège des gardiens de la vie paroissiale

Avant que la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne redessine le paysage religieux en France, la gestion des paroisses était confiée à une institution peu connue aujourd’hui : le Conseil de Fabrique. Ce conseil, composé de fidèles appelés fabriciens, veillait au bon fonctionnement matériel de la paroisse : entretien des bâtiments, gestion des finances, organisation des grandes fêtes religieuses… Parmi eux, certains étaient désignés comme marguilliers, chargés de tenir les registres et d’exécuter les décisions prises. Ils formaient le bureau du Conseil et jouaient un rôle clé dans la vie de l’église.

Leur nombre variait selon la taille de la paroisse : jusqu’à neuf membres dans les grandes communautés (plus de 5 000 paroissiens), cinq dans les plus petites. Lors des offices, ces marguilliers prenaient place sur un banc particulier, placé face à la chaire, d’où le prêtre prononçait ses homélies. Ce banc, à la fois fonctionnel et honorifique, est donc ce que l’on appelle le banc d’œuvre. Symbole de leur mission au service de la paroisse, il marquait aussi leur reconnaissance dans la communauté.

Après la séparation de l’Église et de l’État, les Conseils de Fabrique ont disparu, mais le banc d’œuvre est resté en usage jusqu’au milieu du XXe siècle, utilisé par les notables de la paroisse. Il a ensuite perdu sa fonction liturgique, avec l’abandon progressif de la chaire au profit de l’ambon, pupitre placé au niveau du chœur, tourné vers les fidèles.

Heureusement, à Taverny, ce banc n’a pas été relégué à l’oubli. Il est toujours là, conservé avec soin. Sculpté dans un chêne massif aux teintes chaudes, il s’intègre harmonieusement au mobilier ancien de l’église, notamment à la tribune et au buffet d’orgue. Son dossier, composé de huit panneaux sculptés en bas-relief, présente des motifs végétaux ornés de rubans, deux têtes d’anges, une tête de lion, et, plus inattendu, deux têtes de loups placées dos à dos. Leur signification exacte reste un mystère.

Un dernier détail attire l’attention : le quatorzième panneau du jubé, retiré lors de l’agrandissement de la tribune d’orgue, a été intégré au-dessus du dossier du banc d’œuvre. Il représente les disciples rassemblés autour du corps de saint Barthélemy, dans une scène à la fois sobre et poignante (cf. Mag #67 - juillet 2024).

Le banc seigneurial : prestige et symboles

Plus imposant, plus ornementé, le banc seigneurial tranche par son allure solennelle. Il rappelle que les familles nobles jouaient elles aussi un rôle visible dans la vie paroissiale. Celui de Notre-Dame-de-l’Assomption est associé à la lignée des Rohan-Chabot, dont les armoiries ornent l’un des panneaux. Il est cependant difficile de connaître la date de son installation et comment celle-ci s’articulait avec le banc d’œuvre.

Ce banc en chêne dont les sculptures du dossier, aussi en bas-relief, sont de belle facture, nous renseigne sur les occupants. Divisé en six panneaux séparés par des colonnes torsadées, il est en effet riche en symboles. On y retrouve les quatre évangélistes*, chacun représenté par une figure traditionnelle : le lion ailé pour saint Marc, l’homme ailé pour saint Matthieu, le taureau pour saint Luc et l’aigle pour saint Jean. À ces figures s’ajoutent deux ensembles héraldiques : les armoiries des Rohan-Chabot, reconnaissables à leurs macles (sortes de losanges) et chabots (petits poissons d’eau douce) sur le second panneau, et celles des Montmorency sur le cinquième, ornées de 16 alérions (petits aigles). Un choix qui en dit long sur les alliances, les racines et les territoires des familles présentes à Taverny.

Des motifs de feuilles d’acanthe, finement sculptés, terminent chaque panneau. Les encadrements polylobés rappellent l’architecture des vitraux gothiques. Sous l’assise, sept autres panneaux sculptés prolongent la décoration. Ils sont séparés par des colonnes miniatures, surmontés d’oiseaux sculptés, peut-être des phénix, symboles de résurrection.

Deux bancs, une même mémoire

Au fil du temps, l’emplacement de ces bancs a changé, comme en témoignent des photographies anciennes de l’église datant du XIXe siècle. Le banc d’œuvre se trouvait autrefois face à la chaire. A-t-il été déplacé pour céder sa place au banc seigneurial ? Difficile de l’affirmer avec certitude. Quoi qu’il en soit, la réforme liturgique exigeant que les lectures et les homélies se fassent à l’ambon a rendu caduque l’usage de ces bancs monumentaux. Trop massifs, trop spécifiques, ils ne sont plus utilisés lors des offices. Mais ils demeurent des témoins précieux d’un temps où l’architecture intérieure des églises reflétait l’organisation de la société.

*Sur le banc seigneurial, l’ordre des symboles évangéliques interpelle : lion, homme, taureau, aigle. Ce n’est ni l’ordre de l’Apocalypse (lion, taureau, homme, aigle), ni l’ordre canonique (Matthieu, Marc, Luc, Jean). Cette disposition met en valeur Matthieu et Luc, encadrés par les armoiries. Un choix sans doute réfléchi, révélant l’importance que les commanditaires accordaient à la symbolique… quitte à s’éloigner des conventions établies.