Saint-Jérôme secouru par les anges : le mystère d’un chef-d’œuvre restauré

En 1993, alors que l’artisan d’art Marie-Paule Barrat redonnait vie au tableau de Saint-Joseph de l’église de Taverny, un autre chef-d’œuvre attendait dans le silence… "Saint-Jérôme secouru par les anges", une peinture aussi remarquable qu’énigmatique, aux origines incertaines.

Un nom que l’histoire a retenu

Moine, érudit, traducteur en latin de textes bibliques hébreux et araméens - mission entreprise à la demande du Pape Damase -, Jérôme de Stridon a marqué le IVe siècle. Fondateur de monastères et d’hôpitaux, il fut à la fois un grand évangélisateur et un ermite à la grande renommée. En 1298, soit près de 900 ans après son décès à un peu moins de 40 ans, il est nommé docteur de l’Église.

Pourtant, derrière son œuvre immense, il y a un homme. Un homme fatigué, retiré dans une grotte qui lui sert de cellule, guettant l’au-delà. Le tableau le capture à l’instant où, soutenu par deux anges, il semble basculer vers l’éternité. Détail troublant : il est vêtu du manteau pourpre des cardinaux, bien qu’il n’ait jamais porté ce titre. Une convention artistique ? Ou une allégorie de son rôle de conseiller et de proche du pape ? Dans d’autres représentations traitant du même sujet, un chapeau plat de cardinal est accroché dans son abri, discret témoin d’un statut qu’il n’a jamais officiellement obtenu…

Un mystère vieux de plusieurs siècles

L’origine de cette toile reste une énigme. Aucun document, aucune signature. Toutefois, dans les années 1990, l’Inspecteur des Monuments Historiques Denis Lavalle émet une hypothèse intéressante : l’œuvre serait du peintre siennois Astolfo Petrazzi (1583–1665). En outre, la représentation d’un Saint Jérôme mourant fut souvent traitée par les peintres de la Renaissance et plus tardifs. Un détail renforce cette piste : la ressemblance frappante avec une composition de son maître, Pietro Sorri, réalisée en 1598 à Gênes. Cette dernière, commandée pour l’église Nostra Signora del Carmine e Sant'Agnese (Notre-Dame du Mont Carmel), porte un titre évocateur : "Transito di San Girolamo" – la mort de Saint-Jérôme. Serait-ce l’inspiration cachée de notre tableau ?

Un réveil après des siècles d’oubli

Dans les années 1990, quand le tableau arrive à l’atelier, il est en souffrance. Les siècles l’ont marqué : vernis assombri, déchirures masquées sous des couches épaisses de vernis colorés et de mastic appliquées lors de restaurations antérieures… Comme un corps brisé sous trop de pansements.

La restauration est une renaissance ! Les vernis, brunis par le temps, sont allégés, révélant peu à peu l’éclat des couleurs d’origine. Les lacunes sont ensuite comblées avec précision grâce à un mastic vinylique redonnant à la toile sa continuité. Enfin, un glacis délicat et plusieurs couches de vernis protecteur viennent sceller cette résurrection.

Un chef-d’œuvre mis en lumière

Entre juillet et décembre 1995, l’œuvre restaurée est choisie pour l’exposition "La grande peinture religieuse des églises du Val-d'Oise” organisée à l’abbaye de Maubuisson. Puis, elle retrouve sa place définitive au-dessus de la porte Saint-Barthélémy, sur la façade sud de l’église, où il est toujours possible de l’admirer aujourd’hui.  Sa beauté et son élégance lui valent d’ailleurs d’être mentionnée dans plusieurs ouvrages traitant de l’art religieux du Val d’Oise.

Mais voici ce qui rend cette toile unique : à certaines heures de la journée, une très douce lumière fait ressortir la finesse de son trait et de ses couleurs, révélant des détails insoupçonnés. Comme si Saint-Jérôme lui-même s’animait un instant, prêt à nous confier un dernier secret…