La légende de Notre-Dame des Fers

Des miracles à Taverny ?

Parmi les belles statues de l’église de Taverny, il en est une de la Vierge à l’Enfant, discrètement placée dans le retable depuis le XVème siècle : Notre-Dame des Fers. On lui prête une histoire des plus surprenantes… quelque peu miraculeuse !

Notre-Dame des Fers, puisque c’est ainsi qu’on l’appelle, est une vierge de pierre - en marbre ou en albâtre, les opinions divergent -, d’environ 80 cm de hauteur, nichée dans la partie inférieure gauche du retable (cf. Taverny Mag  #49 - décembre 2022). Les auteurs qui la mentionnent dans de nombreux documents des XVIIIe et XIXe siècles, lui reconnaissent tous une grâce et une élégance remarquables. Mais ce n’est pas le seul atout de cette statue. En outre, si Notre-Dame des Fers est aujourd’hui un peu oubliée des amateurs d’art et des paroissiens, une belle légende y est attachée. Ernest Gaillard, architecte français de la seconde partie du XIXe siècle, la raconte dans sa monographie de l’église de Taverny publiée dans les bulletins paroissiaux de 1906 à 1909, puis de 1933 à 1937.

Une statue propice aux condamnés ?

Selon Ernest Gaillard donc, Notre-Dame des Fers était réputée comme pouvant délivrer de leurs fers (d’où son nom) ou de la captivité “ceux dont la Foi assez vive imploraient la grâce de leur délivrance”. L’architecte explique : “Il se fit un jour que vers le XVIIème siècle, une ‘chaîne’ composée de plusieurs forçats condamnés aux galères, se rendant par étapes escortés de la maréchaussée au port qui leur était désigné, traversa Taverny.”

Rappelons en effet que sous l’Ancien Régime, les juridictions pénales envoyaient les forçats comme rameurs sur les galères. Or, à cette époque, une prison existait à Montmorency et un autre centre de détention se trouvait à Franconville. Des prisonniers étaient ainsi susceptibles de traverser la forêt et de passer par Taverny, notamment pour rejoindre Conflans-Sainte-Honorine doté d’un port maritime sur la Seine qui permettait alors d’embarquer pour l’Île de Ré, dépôt de prisonniers en partance pour les bagnes de Cayenne et de Nouvelle-Calédonie.

L’un des condamnés, “dont les sentiments religieux n'étaient pas tout à fait abolis”, écrit Ernest Gaillard, était bien décidé à vivre libre : “Ayant appris et connaissant la grâce libératrice que possédait cette Notre-Dame dite des fers, dont l’image et le culte résidaient dans l’église de Taverny, dominant le village qu’il traversait, invoqua Notre-Dame des Fers.”

L’ayant invoquée “avec tant de ferveur, avec un tel remords de ses forfaits (...) ses prières furent exaucées, et le collier qui le rivait à la chaîne se desserra et tomba au moment où l'ombre de la nuit se répandit, et que la vigilance des gardiens de l’escorte s’était ralentie”, poursuit Ernest Gaillard avant d’ajouter : “Ce qui permit au prisonnier de s'enfuir et de se perdre dans la forêt, sans que ses compagnons de chaîne, témoins de sa disparition, se fussent rendus compte de ce miracle.”

Des histoires semblables existent à travers toute la France, notamment en Auvergne, plus précisément à la Basilique Notre-Dame d'Orcival où des chaînes et boulets ont été accrochés sur la façade pour témoigner de libérations miraculeuses de prisonniers innocents ou de bagnards qui auraient eu lieu durant l’époque Moderne.

Un vrai “monument historique”

Si son histoire attise la curiosité, Notre-Dame des Fers n’en est pas moins un mobilier d’exception qui mérite toute l’attention des visiteurs de l’église de Taverny. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’elle a été classée monument historique au titre « Objet » le 17 février 1901.

Pour rappel, après la loi de 1905, le Ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes a demandé à ce que soit dressé un inventaire des objets classés des églises et chapelles de France. Dans cet inventaire, mené par Pierre Coquelle pour le département de Seine-et-Oise (le Val d’Oise n’est alors pas encore créé), on note que si le costume de la Vierge est encore typique du XIVe siècle, le visage, lui, est bien typique du XVème siècle : à cette période, les visages y deviennent en effet plus naturels, plus souriants, parfois même poupins.

Notre Vierge Marie est représentée debout, portant sur son bras gauche l’Enfant Jésus, qu’elle regarde en souriant. Elle est drapée d’un grand manteau aux plis amples et gracieux et porte une couronne signifiant traditionnellement qu’elle est la Reine du Ciel. Des boucles s’échappent de son voile dans un mouvement très naturel. L’enfant tient dans sa main une boule, qui dans la tradition ancienne, peut symboliser le globe terrestre ou bien une pomme, le fruit par lequel Adam et Eve ont été chassés du Paradis mais qui, dans la main de Jésus, devient le symbole du rachat des péchés des hommes.

Une statue malmenée par le temps

Aussi belle soit-elle, la Vierge reste aujourd’hui assez dégradée : il ne reste plus beaucoup de traces de la polychromie initiale, si ce n’est quelques touches de couleur sur les plis du drapé de la robe et du manteau : bleu, pourpre, doré, ces couleurs vives et lumineuses devaient donner un tout autre aspect à la statue ! Sans compter le fait que la tête de l’enfant Jésus n’existe plus… Sans doute a-t-elle été brisée durant la Révolution. Il existe bien dans les archives départementales du Val d’Oise un cliché de Félix Martin-Sabon pris dans les années 1890, sur laquelle la tête est présente, mais il semble s’agir d’une restauration hâtive et dont le manque de finesse tranche avec le reste de la statue. Il manque également actuellement la main droite de la Vierge, à la pose gracieuse et aux doigts élancés, qui était pourtant présente au moins jusqu’en 1950. A-t-elle été abîmée lors des travaux des années 1990 ? Là encore, difficile de le savoir.

La statue de la Vierge à l’Enfant, qui, par ailleurs, s’offrit une petite escapade parisienne pendant quelques mois, au cours de l’année 1950 (mais ceci est une autre histoire !), reste malgré tout un élément majeur de la décoration de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption.