Au croisement des eaux et des rails
Niché dans le quartier Vaucelles-Picottes, le pont des Picottes fait partie de ces petits ouvrages que l’on traverse sans y prêter attention… alors qu’ils racontent à eux seuls un pan entier de l’histoire ferroviaire et urbaine de notre ville.
Étroit, bas de plafond, marqué par le passage du temps, le pont des Picottes a longtemps intrigué les curieux - et parfois inquiété - les conducteurs de Taverny ou d’ailleurs.
Sous la voûte étroite du pont des Picottes
Ce pont permet à la ligne ferroviaire reliant Ermont à Valmondois de franchir la rue des Picottes. Avec des dimensions de 2,40 mètres de large pour 2,10 mètres de haut, cet étroit passage s'apparente à un tunnel, imposant une circulation alternée et ne permettant le franchissement que d'un seul véhicule à la fois. Sa faible hauteur est d'ailleurs source de maintes craintes : combien de galeries de toit et de chargements se sont déjà retrouvés éparpillés au sol après une tentative de franchissement trop rapide ?
Au ras de la chaussée, de part et d’autre, de massifs chasse‑roues en grès témoignent de cette proximité constante avec les véhicules. Marqués par les impacts des roues de charrettes d’hier comme par ceux des automobiles d’aujourd’hui, ils fonctionnent à la fois comme protection des maçonneries et comme mémoire des usages populaires du pont…
Suite de l'article paru dans le Taverny Mag #83 - janvier 2026 :
Un colosse de pierre pour géants de fer
Bien que de taille modeste, le pont des Picottes est d'une robustesse remarquable. Il est conçu pour supporter le poids considérable des convois ferroviaires qui le traversent : en outre, les locomotives à vapeur 141 TC des anciens trains de banlieue affichaient jusqu’à 122,5 tonnes à pleine charge, et il arrivait que deux machines se croisent sur l’ouvrage. Ce “petit pont” travaille donc comme un grand, en permanence.
Ce pont tire sa robustesse de ses piles et contreforts, réalisés en pavés de grès, solidement ancrés dans le remblai ferroviaire. Érigé à l'origine à la fin du XIXᵉ siècle lors de la construction de la ligne d'Ermont à Valmondois, il a connu une reconstruction complète en 1911, suivie de renforcements successifs dans les années 1980. Ces travaux visaient à l'adapter à l'intensification du trafic et à l'évolution des normes de sécurité.
À l’origine, un pont pour l’eau plus que pour les hommes
Détail méconnu : le pont des Picottes n’était pas pensé, au départ, pour les voitures… ni même pour les piétons ! Lors des études menées dès 1874 par la Compagnie du chemin de fer du Nord, sa fonction première est celle d’un ouvrage d’évacuation des eaux sous le talus.
Entre la halte de Vaucelles et la gare de Taverny, la voie doit grimper de l’altitude de 82,40 m à 89,50 m environ ; la rue des Picottes, elle, se situe autour de 80 m. Aussi, pour conserver une pente compatible avec la traction des locomotives, il a été décidé de construire un important remblai. Or le point bas des eaux de ruissellement - pluies, eaux de surface - se trouve entre la rue du Trou Samson et le pied de ce talus. Il faut donc aménager un “égout” sous la voie pour permettre l’écoulement de ce véritable bassin versant.
Le passage initial, large et haut de 2,50 m, est prévu pour laisser circuler l’eau, mais aussi un homme et une charrette : la rue et le pont se greffent peu à peu sur cette utilité hydraulique. Les plans parcellaires d’origine mentionnent d’ailleurs deux fossés au nord, l’un venant de la rue de Vaucelles, l’autre d’une portion aujourd’hui disparue de la sente du Trou Samson.
Quand le pont devenait torrent
De nombreux Tabernaciens se souviennent encore du spectacle qu'offrait le pont des Picottes avant la construction du réseau d'égout séparatif, intervenue entre 1950 et 1960. Et pour cause, les jours de gros orages, un véritable torrent dévalait vers ce point bas et s’engouffrait sous l’ouvrage, transformant pour quelques heures le passage étroit en gorge miniature. Les enfants du quartier venaient y observer l’eau jaillir, fascinés par cette petite “rivière” improvisée au milieu de la rue.
Aujourd’hui, le pont a retrouvé un calme relatif, ne laissant plus passer qu’un filet d’eau et un timide cortège quotidien de voitures prudentes. Mais ses pierres, ses chasse‑roues meurtris et sa silhouette ramassée continuent de raconter cette double vocation, ferroviaire et hydraulique.
Article rédigé avec l’aide précieuse de l’Association Généalogique de Taverny (www.genea-taverny.fr).